Dominique Noguez répond à Michel Onfray
Pitié pour Benoît Peeters
J'ai été très surpris de l'agressivité avec laquelle
Michel Onfray parle de Benoît Peeters dans le n°2400 du « Nouvel Observateur »
. Je tiens «Trois Ans avec Derrida. Les carnets d'un biographe»
(Flammarion), objet de son courroux, pour un livre passionnant et son auteur pour un de nos meilleurs intellectuels. Sans doute, sa modestie et son peu de goût pour le battage médiatique le rendent provisoirement moins connu que Michel Onfray et vulnérable aux attaques injustes.
Le ramener, pour commencer, à une biographie d'Hergé et à des « collaborations dans des BD » est aussi réducteur que si l'on ramenait Michel Onfray à sa « Théorie du sauternes » (excellent vin, là n'est pas la question), oubliant son « Traité d'athéologie » ou ses leçons à l'Université populaire de Caen.
Benoît Peeters a collaboré, certes, avec quelques-uns des meilleurs dessinateurs d'aujourd'hui (François Schuiten ou Frédéric Boilet), et aussi avec le cinéaste Raoul Ruiz pour un roman. Mais il est lui-même l'auteur d'un brillant «nouveau roman» borgésien (« la Bibliothèque de Villers », en 1980), d'une biographie de Valéry, d'entretiens avec Alain Robbe-Grillet, de plusieurs films dont le remarquable « Dernier Plan » (1999) et d'une réflexion sur son propre travail au carrefour de plusieurs modes de création (« Ecrire l'image. Un itinéraire », 2008).
Sans oublier, conçu avec Marie-Françoise Plissart, le roman-photo « Droit de regards ». Cette oeuvre mérite d'autant plus d'être citée ici qu'elle avait, en 1985, inspiré à Jacques Derrida, justement, un beau texte d'une cinquantaine de pages (« Une lecture de "Droit de regards" »). Car, contrairement à ce que Michel Onfray insinue, Peeters n'a pas entretenu avec Derrida que des rapports de « lecture flottante ». Comme il le raconte dans « Trois Ans avec Derrida » et, comme il le prouve dans sa magnifique biographie parue chez Flammarion, il a lu Derrida dès ses premiers livres et de près. Simplement, et il le dit clairement, il entend faire œuvre de biographe, non d'exégète de l'œuvre. « Je cherche, écrit-il, à restituer la genèse des œuvres et leur réception, plus qu'à en proposer une analyse.» Et il ajoute - c'est un de ces conseils qui valent pour toutes les biographies et qui font de ces « Carnets d'un biographe » une référence :
« Je n'attends pas que vous me l'expliquiez, votre grand homme, mais d'abord que vous me l'évoquiez. Etait-il rapide ou lent, bougon ou plein d'entrain ? Avait-il des horaires stricts ? Séparait-il ses travaux, ses amis, ses amours ? Faites-moi sentir ce que furent ses jours et ses nuits. »
S'il raconte, dans ce même livre, que, se voyant proposer par son éditrice d'écrire une biographie, il n'a pas aussitôt pensé à l'auteur de «l'Ecriture et la Différence», il montre aussi que son nom s'est imposé ensuite à lui avec une force étonnante et durable. J'ajoute que, pour ceux qui, comme moi, s'honorent de connaître Benoît Peeters, sa rigueur intellectuelle et son altruisme (il est également éditeur et se voue aux autres avec une rare générosité), les termes de «jalousie très mesquine» à propos d'un chercheur qui envisagea un moment de faire lui-même une biographie de Derrida et qui y a renoncé, sont particulièrement invraisemblables.