mardi 29 mai 2012

Changement & Twitter

L'heure est au "changement" et à "twitter". Le jury du 8e Festival du mot, organisé depuis 2005 à La Charité-sur-Loire (Nièvre) et les internautes de 62 pays ont tranché. Si le jury a choisi le mot "twitter", qui ne figurait pas dans la liste initiale des quinze mots soumis au vote, les internautes ont donné quant à eux leur préférence au mot "changement", talonné de peu par "tablette". Ces derniers ont également relégué le mot "rupture" en dernière place de leur classement.

Agence de notation, amalgame, arrogance, changement, déficit, identité, (in)dignité, ingérence, promesse(s), populisme, pugnacité, réseau social, rupture, sociétal ou tablette : aucun des quinze mots ou expressions proposés au jury par son président d'honneur, Alain Rey, n'a été retenu. Ses membres, parmi lesquels les écrivains Philippe Delerm et Olivier Salon ou encore les journalistes Stéphane Paoli et Claude Sérillon, lui ont préféré le mot "twitter", "qui marque la volonté de prendre en compte la révolution numérique dans notre quotidien", commente le président d'honneur. En choisissant 'twitter', comme si c'était un verbe français, les jurés mettent en valeur un nouveau modèle de communication qui favorise la brièveté, la rapidité et le partage. Si cette technologie ne favorise pas forcément la subtilité ou la nuance, elle valorise l'émetteur, qui a parfois plus d'importance que le message qu'il délivre."

Les internautes français ont élu quant à eux le mot "changement", car "il y a fort à parier qu'au sortir des élections, [ils] ont d'abord souhaité espérer une amélioration de leur situation [et] évidemment un progrès par rapport au passé", avance M. Rey.


                                                                    Festival du mot


Le Monde 25 mai 2012.



mardi 22 mai 2012

" Je suis comme une truie qui doute "


Claude Duneton s’est éteint à 77 ans sur un lit d’hôpital à Lille, le 21 mars 2012, loin de sa Corrèze natale il y a tout juste deux mois. Sa mort n’aura pas fait beaucoup de bruit…

Il tenait au Figaro littéraire la chronique « Au plaisir des mots ». Chroniqueur comme Vialatte et comme lui discret, réservé, espiègle volontiers, franc-tireur contre la bêtise et la méchanceté, il possédait, faut-il le préciser, une grande culture et beaucoup de talent. Le Bulletin célinien de ce mois lui rend un hommage d’autant plus mérité que l’auteur du « Monument » fut aussi un célinien averti. Nous l’avons suivi, dans son « Bal à Korsor » sorti en 1994 chez Grasset, sur les traces de l’exilé perdu dans les brumes de la Baltique. Nous avons apprécié ce livre où l’auteur  relate son « pèlerinage » avec les mots qu’il faut, des mots qui sonnent juste et justement associés. Il y a la « manière » Duneton par laquelle lui, avait bien entendu Céline ; il nous la conseille :
« Peut-être faudrait-il relire Céline, sans bruit et sans fureur, pour tâcher de le comprendre ? », c’est cela, le lire calmement et la tête froide, comme on déplace un flacon de nitroglycérine, pour ne pas le faire exploser.
Marc Laudelout rappelle qu’il fut, le 22 mars 1997, l’invité d’honneur de la « Journée Céline ». Il rappelle aussi que Claude Duneton fut l’un des premiers à adapter l’auteur des Beaux Draps au théâtre. Il rapporte, dans la « citation du mois » cet extrait de la préface qu’il écrivit pour l’ouvrage d’Eric Mazet et de Pierre Pécastaing « Images d’exil » :

« Aujourd’hui, les Français gardent à Céline un enfant de leur chienne pour avoir tenté de leur dessiller les yeux sur le fond méchant de la nature humaine. Et encore, question rancœur on n’a rien vu. Attendons les republications au soufre pour être fixés. Oh les beaux flots d’invectives au tombeau ! Voltaire sera battu d’une belle longueur de suaire…
Que voulez-vous, les Français ont toujours préféré Jean-Jacques l’opportuniste, le brillant « maquereau ». Il faut sans cesse dire aux gens qu’ils sont bons et honnêtes, ça les flatte. Les assurer qu’ils ne peuvent jamais devenir des tueurs, eux, ni des bourreaux, et que leurs voisins sont bien pareils, doux, inoffensifs, pétris de songes… Par le même principe rousseauiste ceux d’à côté sont tous gens de cœur et de tendresse — la crème de la Création. »  

LE BLOG D'AGARIC


dimanche 13 mai 2012

EXTRAITS :



ÂNE - Faire l'âne pour avoir du son. Souvenir de François Rabelais, Gargantua (livre I, chapitre XI De l'adolescence de Gargantua) : "faisait l'âne pour avoir du bran". "Bran" est un nom ancien du son. C'est faire l'imbécile pour obtenir ce que l'on souhaite. "Courtiser une femme : Faire l'âne pour avoir du con" (Raymond Queneau, Les oeuvres complètes de Sally Mara, 1962).
RAT - Un petit rat. C'est une jeune élève de l'école de danse de l'Opéra de Paris qui apparaît dans les spectacles et dont Degas a fait son modèle favori. Émile Littré écrit fort bourgeoisement : "Se dit, à l'Opéra, dans une sorte d'argot, des petites élèves de la danse. Demoiselle entretenue. On dit que cela vient de l'habitude d'inviter autrefois aux parties fines des demoiselles d'opéra, qu'on nommait, par apocope, des ra."

RIPAILLE - Faire ripaille. Amédée VIII de Savoie devient veuf à 56 ans. Il remet ses États à son fils aîné en 1439 et se retire à Ripaille, près de Thonon-les-Bains, prieuré isolé de l'ordre de Saint-Maurice, dont il prend l'habit. Au sens propre, ce moine royal s'y nourrit, au lieu de "racines" et d'eau claire, de "viandes fort exquises et de vin très délicieux (...) faire ripaille, pour dire faire gaude chère et mener vie de gouillaffre, ou de goulu" (Fleury de Bellingen, L'étymologie ou explication des proverbes français, 1656).

ROULEAU - Être au bout du rouleau, de son rouleau. Le "rouleau", anciennement le "rollet", c'est le volume (volumen) au sens antique, enroulé et non feuilleté comme le livre moderne. Une croyance universellement répandue veut que les destins réservés à chacun soient inscrits à l'avance sur un rouleau. Les musulmans disent d'un événement imprévu et désastreux : "C'était écrit." "Être au bout de son rouleau", c'est parvenir au moment où, toutes les chances de réussite ayant été épuisées, il ne reste plus à attendre que l'impuissance et l'échec. Dans un sens moins fataliste, c'est avoir épuisé tous ses arguments, toutes ses ressources, et se retrouver désarmé.
"Après cela, elle n'a plus grand-chose à dire et, quand elle a promis une robe de byssus teint deux fois et une union de perles d'égale grosseur, elle est au bout de son rouleau" (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, chapitre IX, 1835).

Le livre des métaphores de Marc Fumaroli (Robert Laffont Bouquins, 1 120 p., 30 euros).
Propos recueillis par Jean-Paul Enthoven.
Le Point 22 mars 2012.

samedi 12 mai 2012

J’en suis resté comme deux ronds de flan !

Le Livre des métaphores, de Marc Fumaroli, est un recueil d’expressions et locutions imagées. Le français en fourmille. L’académicien ne les a pas collectées et commentées "en docte philologue ou linguiste", mais en lecteur et historien "amateur" (érudit quand même!). C’est le plaisir qui l’a guidé, son ambition étant de constituer "un parc national, un jardin botanique" de tous ces mots et locutions issus dans leur sens figuré de "la vie poétique naturelle et originelle du français".

Ces "expressions toutes faites" témoignent du génie populaire qui les a inventées et du talent des écrivains qui les ont créées ou, le plus souvent, utilisées et propagées. Marc Fumaroli a eu l’excellente idée de faire un sort à La Fontaine en rassemblant ses immortelles trouvailles : attacher le grelot, un paysan du Danube, la part du lion, tirer les marrons du feu, la mouche du coche, un train de sénateur, etc.

Il a choisi le classement par thème : le corps, les animaux, la chasse et la pêche, la médecine et la chirurgie, les jeux et les sports, l’argent, l’histoire, la géographie, la littérature, les armées et la guerre, etc. Cela donne de la cohérence à l’ensemble et permet de prendre la mesure de la richesse métaphorique de certains sujets, par exemple le cheval. Mais comment aller chercher une "hirondelle ne fait pas le printemps" dans la fable antique et la mythologie, ou "à bâtons rompus" dans la musique, si on n’a aucune idée de leur origine?
Chemin faisant, on apprend que Stendhal aurait été le premier à employer "la liste noire" (La Chartreuse de Parme) ; Raymond Queneau serait l’inventeur de "mettre de l’argent à gauche" ; "faire charlemagne" signifie se retirer d’un jeu après avoir gagné, sans laisser aux adversaires l’occasion de prendre leur revanche ; "mi-figue, mi-raisin" vient d’une fraude de marchands qui mêlaient des figues sans valeur à des raisins de Corinthe, rares et chers ; il ne faut pas confondre "arriver comme marée en carême", survenir fort à propos, avec "arriver comme mars en carême", chose qui survient forcément ; Proust emploie "casser du sucre (ou du bois) sur le dos" pour signifier qu’une personne a été injuriée en face alors que l’expression signifie qu’on en a dit du mal derrière elle.

Marc Fumaroli connaît par cœur, ou sur le bout des doigts, toutes les locutions qui se greffent sur le cœur ou s’articulent sur les doigts. Toutes celles aussi qui utilisent les mains, les pieds, les jambes, les yeux, les dents. Mais – est-ce par pudeur? – le cul ne l’inspire pas. Faux cul? Je ne me le permettrais pas non plus. En revanche, il est prolixe sur les "horizontales", les femmes qui gagnent leur vie dans cette position. Par ordre alphabétique, d’Edmond About à Adolphe Thiers, il donne le nom des hommes célèbres qui ont fréquenté l’hôtel des Champs-Élysées de la Païva ("qui paye y va").

Aussi amusant qu’instructif, Le Livre des métaphores est une mine de citations de toute nature qui illustrent ces innombrables expressions, certaines désuètes, la majorité toujours bien vivantes. Qu’Alexandre Dumas, Balzac, Hugo, Flaubert, Zola, Proust soient parmi les écrivains les plus souvent cités, rien que de très logique. Mais Marc Fumaroli a lu aussi des auteurs plus proches de nous, notamment son ami d’Ormesson, Claude Simon, Cavanna, Matzneff, Tournier, San Antonio, Sollers, Michon, Kourouma, et même Catherine Millet… Il n’hésite pas à tirer profit de Brassens, Ferré, Brel, Mistinguette, Johnny Hallyday, Dutronc-Lanzmann, et même d’une publicité Darty. Réjouissant éclectisme. Il puise aussi dans les journaux. Surprise du chef : l’académicien semble rarement lire Le Figaro, un peu plus Le Monde, et beaucoup Libération. J’en suis resté comme deux ronds de flan !

Bernard Pivot - Le Journal du Dimanche
samedi 28 avril 2012.

Eric Naulleau sur RTL 

vendredi 11 mai 2012

Andonille, Branche de corail, Callibistri

On est un peu inquiet pour les Bretons. Selon le documentaire Breizh Erotik, de Roland Thepot, diffusé actuellement dans le cadre du mois de la culture bretonne, leur langue manque de mots liés à l’érotisme et au sexe. Ninnog Latimier, qui intervient dans le film, a traduit Les monologues du vagin : «Je me suis aperçu que ces mots manquaient dans notre vocabulaire breton. Ce n’est pas seulement culturel, cela vient du vécu et de la religion.»

La question de l’érotisme se pose évidemment pour toutes les langues et patois de France, en témoigne ainsi les Expressions érotiques en Poitou-Charentes, Vendée du linguiste Jean-Jacques Chevrier où l’on apprend que «jouer à touche pipi» peut se traduire par «jhouàe a grate couni».

Au détour de ces sérendipités linguistes, on est tombé sur un bel ouvrage, numérisé par Google : le Glossaire érotique de la Langue Française depuis son origine jusqu’à nos jours, datant de 1861. L’auteur, Auguste Scheler, sous le pseudo de Louis de Landes, propose plus de 2 000 définitions de «tous les mots consacrés à l’amour». Pour ce linguiste suisse du XIXème siècle, la publication d’un tel glossaire devait permettre «de lire notre ancienne littérature» pour ceux «qui sont désireux de bien comprendre les écrivains qui n’ont d’autre tort que d’appeler un chat un chat».
                                                               (P. 145 du Glossaire)
Le résultat donne presque envie «d’aller à la charge» tant on découvre de verbes et d’expressions dont on ne soupçonnait pas le double-sens. Evidemment, au final, cela revient le plus souvent à «être employé dans un sens obscène pour désigner un homme porté vers l’acte vénérien» ou «l'acte vénérien» lui-même. Que sont jolis ainsi ces «abatteur de bois», «s’aboucher», «accorder sa flûte», «mettre à la jûchée», «trafarcier», ou «trébillons». Auguste Scheller tire ses exemples de la littérature francophone et on y reconnaît le pouvoir d’imagination des écrivains, connus ou inconnus, dans ce domaine.

La liste de tous les mots utilisés un jour ou l’autre pour qualifier le membre viril ressemble à un inventaire à la Prévert un peu délirant. On en a compté deux-cents douze. On ne va pas tous les recopier, mais «andonille, ardillon, boudin blanc, branche de corail, callibistri, crête de coq d’Inde, degré de longitude, exécuteur de la basse justice, fruit de cas pendu, mentule, pastenade, rossignol, tirliberly, touche d’allemand ou verge de Saint-Benoît» méritent d’être connus. Et on imagine qu’un siècle et demi plus tard la liste est encore bien plus longue.

Cette variété des expressions et de mots est due aux années qui passent et aux mélanges culturels, mais aussi à la religion et à la censure. «Pendant des siècles, on n’attacha aucune idée malhonnête à une multitude de mots et d’expressions qui sont actuellement bannis de la bonne société, et les hommes les plus graves les employaient sans que personne n’y trouve à redire», explique l’auteur. Mais, «peu à peu on a trouvé que certains mots devaient être bannis de la langue, et on les a remplacés par d’autres, ou bien par des périphrases qui expriment, il est vrai, la même idée, mais en bannissant le scandale», continue-t-il dans cet ouvrage «condamné à la destruction par jugement du tribunal correctionnel de la Seine en mai 1865».

                                         (Page 277 du Glossaire.)
De nombreux mots ont traversé les époques et sont encore utilisés aujourd’hui, ou tout du moins très compréhensibles, comme «mignonne», «maquereau» ou «pucelle». D’autres expressions ont légèrement évolué comme «putain», qui signifiait «seulement autrefois une femme débauchée, actuellement ce n’est qu’un mot grossier servant à désigner une fille publique».

«Putasser» à l’époque est encore employé pour «désigner l’acte vénérien» alors qu’aujourd’hui on l’utilise plutôt pour médire sur quelqu'un. A l'époque de la rédaction de ce glossaire, «pute» est considéré comme un «vieux mot hors d’usage». Aujourd’hui, il se porte plutôt bien alors que «putier», désignant un coureur de mauvais lieux, n’a  malheureusement pas connu de seconde jeunesse. Les deux viennent de l’ancien français «put», sale, du verbe latin «putere», sentir mauvais. Car derrière la censure et la religion, ces mots reflètent surtout notre manière, parfois péjorative ou un peu honteuse, de voir le sexe.
Le «Glossaire érotique de la langue française» de Louis de Landes est disponible sur Google books et a été réédité en 2004 par Les Éditions de Paris (Max Chaleil).

 Libération, 10 mai 2012.