Le Livre des métaphores, de Marc
Fumaroli, est un recueil d’expressions et locutions imagées. Le français
en fourmille. L’académicien ne les a pas collectées et commentées "en
docte philologue ou linguiste", mais en lecteur et historien "amateur"
(érudit quand même!). C’est le plaisir qui l’a guidé, son ambition étant
de constituer "un parc national, un jardin botanique" de tous ces mots
et locutions issus dans leur sens figuré de "la vie poétique naturelle
et originelle du français".
Ces "expressions toutes faites" témoignent du génie populaire qui les a
inventées et du talent des écrivains qui les ont créées ou, le plus
souvent, utilisées et propagées. Marc Fumaroli a eu l’excellente idée de
faire un sort à La Fontaine en rassemblant ses immortelles trouvailles :
attacher le grelot, un paysan du Danube, la part du lion, tirer les
marrons du feu, la mouche du coche, un train de sénateur, etc.
Il a
choisi le classement par thème : le corps, les animaux, la chasse et la
pêche, la médecine et la chirurgie, les jeux et les sports, l’argent,
l’histoire, la géographie, la littérature, les armées et la guerre, etc.
Cela donne de la cohérence à l’ensemble et permet de prendre la mesure
de la richesse métaphorique de certains sujets, par exemple le cheval.
Mais comment aller chercher une "hirondelle ne fait pas le printemps"
dans la fable antique et la mythologie, ou "à bâtons rompus" dans la
musique, si on n’a aucune idée de leur origine?
Chemin faisant, on apprend que Stendhal aurait été le premier à employer "la liste noire" (La Chartreuse de Parme)
; Raymond Queneau serait l’inventeur de "mettre de l’argent à gauche" ;
"faire charlemagne" signifie se retirer d’un jeu après avoir gagné,
sans laisser aux adversaires l’occasion de prendre leur revanche ;
"mi-figue, mi-raisin" vient d’une fraude de marchands qui mêlaient des
figues sans valeur à des raisins de Corinthe, rares et chers ; il ne
faut pas confondre "arriver comme marée en carême", survenir fort à
propos, avec "arriver comme mars en carême", chose qui survient
forcément ; Proust emploie "casser du sucre (ou du bois) sur le dos"
pour signifier qu’une personne a été injuriée en face alors que
l’expression signifie qu’on en a dit du mal derrière elle.
Marc
Fumaroli connaît par cœur, ou sur le bout des doigts, toutes les
locutions qui se greffent sur le cœur ou s’articulent sur les doigts.
Toutes celles aussi qui utilisent les mains, les pieds, les jambes, les
yeux, les dents. Mais – est-ce par pudeur? – le cul ne l’inspire pas.
Faux cul? Je ne me le permettrais pas non plus. En revanche, il est
prolixe sur les "horizontales", les femmes qui gagnent leur vie dans
cette position. Par ordre alphabétique, d’Edmond About à Adolphe Thiers,
il donne le nom des hommes célèbres qui ont fréquenté l’hôtel des
Champs-Élysées de la Païva ("qui paye y va").
Aussi
amusant qu’instructif, Le Livre des métaphores est une mine de
citations de toute nature qui illustrent ces innombrables expressions,
certaines désuètes, la majorité toujours bien vivantes. Qu’Alexandre
Dumas, Balzac, Hugo, Flaubert, Zola, Proust soient parmi les écrivains
les plus souvent cités, rien que de très logique. Mais Marc Fumaroli a
lu aussi des auteurs plus proches de nous, notamment son ami d’Ormesson,
Claude Simon, Cavanna, Matzneff, Tournier, San Antonio, Sollers,
Michon, Kourouma, et même Catherine Millet… Il n’hésite pas à tirer
profit de Brassens, Ferré, Brel, Mistinguette, Johnny Hallyday,
Dutronc-Lanzmann, et même d’une publicité Darty. Réjouissant éclectisme.
Il puise aussi dans les journaux. Surprise du chef : l’académicien
semble rarement lire Le Figaro, un peu plus Le Monde, et beaucoup Libération. J’en suis resté comme deux ronds de flan !