Le calendrier, l’horloge semblent ne plus avoir aucun sens,
tandis que celui des mots fait clic-clac, se décalant au fur et à mesure que
notre vie s’enconfine. Lundi 27 avril, les lecteurs du Monde ont listé, sur le
direct « Nos vies confinées », les nouveaux mots décrivant leur quotidien. Mis
bout à bout, ils décrivent l’indolence, l’anxiété mais aussi les moments de
décompression pendant cette période hors norme.
La semaine ne comporte plus qu’un seul et même jour qui se
répète en boucle, lundimanche. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et
samedi ont laissé place à un autre jour, « interdi » – de sortir, de commercer,
de vivre normalement – et le septième jour à l’appel à grasse matinée du
confinemanche.
Notre vie confinée, c’est comme la nostalgie, on finit par
s’en faire une amie. C’est la confifi, celle qui vient, puis repartira, quand
lui succédera le déconfifi. « Nous, quand on en a marre du confinement, on
l’arrête et on se met en confinage, confination, confinature ou confinette. Ça
rompt la monotonie », explique sur le direct du Monde un lecteur facétieusement
baptisé « :) », et bien décidé à explorer les confins lexicaux.
Comme lui, chacun s’occupe. Certains covidépriment. Seuls
derrière leur écran, d’autres essaient de contribuer et d’aider tant qu’ils
peuvent, dans un élan de solidaritude. Des parents tentent, quant à eux, de
s’occuper de leur progéniture, en essayant de résister à l’irrépressible envie,
fortement déconseillée, et que la correction nous interdit de traduire ici, de
les émarmailler.
« Graduvid » et « immobésité »
Pour garder la santé, faire bonne figure, bonne mine, ou
juste vider leurs nerfs après trois heures à gérer Junior, d’autres tentent de
faire du sport. Mais rien à faire, l’appel de la gravité est trop fort. Planche
sportive le matin, chocolat blanc le soir, nos coronabdos ne ressemblent déjà
plus à rien. On s’empiffre pour remplir un grovid, on devient graduvid, victime
de la terrible immobésité qui, elle aussi, se répand.
Au travail, on zoome pour un oui ou pour un non. On se
télésalue, on fait des télépauses, on se télédéconnecte. La frontière entre vie
professionnelle et privée a fondu. Antonin s’interroge : « Le 1er-Mai sera la
téléfête des travailleurs, ou la fête des télétravailleurs ? »
Et sans la malice du langage, même les vacances auraient un
goût de trop près. La destination préférée des Français en avril ? Punta Canap.
Les plus chanceux s’installent dans leur jardin, sur leur balcon, voire à une
fenêtre exposée au Sud, juste de quoi s’offrir une petite séance de homezage
(avec crème solaire, bien entendu !).
Dans ces temps où chacun s’observe surtout depuis la
fenêtre, ceux qui sortent sont vite taxés d’être des covidiots, insolents,
insouciants et inconscients. L’insulte est internationale, à l’image de
l’italien covidiota. Les lecteurs du Monde.fr voudraient les regarder avec
bienveillance, mais c’est dur : Mynette a la quaranthaine, elle meurt d’envie
d’agonir d’insultes « ceux qui prennent le confinement à la légère ». Des
confinis, résume un lecteur autobaptisé « Confiniment ».
On « covide » la cave par « skypéro »
Il faut dire que la peur du virus est partout. On en devient
paranovirus, une maladie très répandue chez les hypoconfiniaques. Il nous
obsède, ce conarvirus, comme l’appelle une enfant de 3 ans que sa mère se garde
bien de corriger.
Covid, le nom semble abstrait, presque sympathique.
N’aurait-il pas fallu le rebaptiser Srasaurus-rex ? A moins qu’il ne s’agisse
du coronacircus, comme le surnommait cette dame de 103 ans, récemment morte
d’une tout autre maladie, citée avec fierté par sa petite-fille Pymprenelle.
Heureusement, arrive bientôt le moment tant attendu. Comme
le « pain au chocolat » et la « chocolatine », il porte plusieurs noms sans que
l’on sache bien lequel est le bon : le coronapéro, le whatsapéro, le skypéro ?
« Skypéro, c’est un truc de Nordiste ? Chez nous, on s’organise des coronapéros
à distance, et ça marche quelle que soit la technologie utilisée », corrige By
Ben, sans mentionner sa région. C’est aussi le vodkafone pour les fauchés, ou
pour les gourmets du malt, le whiskype, suggère Gfwh.
Bref, rendez-vous général est donné au Zoombar ; on covide
la cave, à plusieurs, par écrans interposés. Ou pour les chanceux en maisons
individuelles, sur le pied du palier, porte ouverte, pour des apérues
conviviaux. Une spécificité qui n’a rien de française : les Italiens ont le
quarantini, les japonais le on-nomi, le pot en ligne, et les Finlandais de
longue date le kalsarikännit, littéralement la cuite en sous-vêtements.
« Corona boomers »
Le mot « vingt heures », lui, a disparu de la langue
française. Il est clap clap’o clock, l’heure des applaudissements. Un peu
partout les voisins poubellisent, casserolisent, vuvuzélisent, selon l’instrument
de musique (ou de torture) qui leur passe sous les mains, dans une coronaphonie
proche du cacovirus, ou l’inverse, on ne sait plus trop.
Puis enfin arrive l’heure de se coucher. Sous une couette
confinée, quelques tourtereaux préparent peut-être les corona boomers de
demain, cette génération même pas encore née, déjà étiquetée : les coronials.
Avec indolence, d’autres s’abandonnent directement à ce lit
qu’ils n’ont finalement jamais eu l’impression d’avoir tout à fait quitté.
Allez, courage. Demain, c’est encore lundimanche.
William Audureau,