Comme Gilles Vervisch est philosophe,
taquinons-le un peu. Un dictionnaire n'a-t-il pas pour fonction de figer
le sens des mots après qu'ils aient été utilisés dans la langue, de manière
assez récurrente pour que quelques doctes lexicographes s'estiment en droit de
les faire entrer, puis parfois sortir, de la Langue française telle qu'en son
Académie elle se fige ? Les dictionnaires arrivent toujours a posteriori.
Or, est-ce le dictionnaire qui fait exister les mots ou bien simplement
consacre un usage ? Les mots existent avant d'être figés, et c'est toute
l'histoire de la langue française que cette utilisation de mots qui n'existent
pas encore dans le sacrement mais sont pourtant bien vivant dans la rue. Bien
sûr, l'entreprise du Dico des mots qui n'existent pas et qu'on utilisequand même a une vertu beaucoup plus ludique, mais quand même !
D'ailleurs, à l'occasion de la définition
de combientième, les auteurs de ce farfelu Dico des mots
qui n'existent pas et qu'on utilise quand même se posent la même
question : "un mot qui n'existe pas mais qui est référencé dans le
dictionnaire des mots qui existent existe-t-il ?A-t-il, par suite, bien sa
place dans un dictionnaire des mots qui n'existent pas (et qu'on utilise quand
même) ?" vaste débat...
Les mots recueillis ici sont tous très
modernes et issus de milieux spécialisés. En effet, quel intérêt de signaler déguilder quand
depuis longtemps les geeks adeptes du MMORPG WoW savent très bien ce que cela
veut dire et les autres s'en fichent ? De la même manière, pourquoi faire
figurer des mots de l'anglais (no-life, topless, think tank) quand
on sait la propension de nos contemporains à croire, contre l'idéal
de nos cousins québécois, qu'il est préférable de parler un mauvais franglais
qu'un bon français ? N'aurait-il pas fallu proposer des entrées avec des mots
plus ou moins communs, de manière à ce que tout le monde s'y retrouve ?
Et où sont passé le si affreux positiver et autres
inventions des publicitaires ? à moins qu'ils y soient déjà et que je me fasse
décidément trop vieux...
Ces remarques mises à part, le Dico
des mots qui n'existent pas et qu'on utilise quand même est vraiment
intelligent et drôle, tant par ses entrées que par la qualité des définitions
qu'il donne. Dans la veine des dictionnaires "humoristiques et
sérieux" qui paraissent depuis quelques années sur la langue, celui-ci
n'est pas le moins plaisant. On se réjouit de voir les "définitions"
de Merki, facilitateur, matcher, kikoulol,
aujoud'aujourd'hui, etc. Certains surprennent tant ils sont facilement
utilisés, commechronophage ou procrastinateur (résumé
en faignasse !), d'autres parce qu'on se demandent où ils ont
été entendu une seule fois (se berlusconiser, suédé, tartinabilité).
Gros coup de cœur pour un mot qui restera je pense en dehors de la
sphère footballistique t après le fin de carrière dudit joueur, zlataner !
qui a vu ce joueur une fois imposer sa puissance physique à ses adversaires, au
mépris souvent du beau jeu, comprendra.
Au-delà du simple jeu, cette belle
assemblée lexicale montre un glissement de la langue influencée par les média,
m'anglais, le sport, les jeux vidéos, l'informatique, tout ce qui pourrait en
faire sa nouvelle richesse s'il était utilisé pour enrichir plutôt que pour
enlaidir la langue. Affaire de goût, mais au moins Olivier Talon et
Gilles Vervisch posent, avec ce Dico des mots qui n'existent
pas et qu'on utilise quand même, la question de la place des mots dans la
langue.
Loïc Di Stefano
Le salon Littéraire
Le salon Littéraire
Olivier Talon et Gilles Vervisch, Dico
des mots qui n'existent pas et qu'on utilise quand même, Express
Roularta, mars 2013, 288 pages, 12,90 eur
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