jeudi 21 novembre 2013

Çaisfran !

"Genre tu kiffes le çaisfran ! Du coup tu taffes grave." Traduction : "C'est parce que tu aimes le français que tu travailles autant." Si seulement ! Le français a bien changé depuis la Gaule romaine. Entre le verlan, les anglicismes, les défauts de prononciation et les produits de l'imagination purs, les jeunes, les djeun's d'aujourd'hui partagent un vocabulaire encore étranger à leurs aînés. Tandis que la grammaire se sclérose, les adultes se décomposent. Encourageante évolution ou dégradation affligeante ? Le Point.fr a relevé quelques-unes des expressions phares de la jeunesse actuelle.

Avoir le seum : Autrefois, on disait avoir les boules. De nos jours, on a le "seum", à savoir un coup dur, de blues, de déprime. C'est pas la joie, quoi ! Une expression qui traduit parfaitement le désarroi de ceux qui ne la comprennent pas.

Avoir le swag ou du swag : Dans son acception la plus limitée, le swag signifie le style, "la classe". Toutefois, la connotation vestimentaire découle d'une véritable mentalité. En anglais, to swag, c'est se mettre en avant, frimer. Quelqu'un qui a le swag ou qui est swag, c'est donc quelqu'un qui a de l'allure et qui aime le montrer. "Un espèce" (sic) de frimeur, en somme.
Frais / fraîcheur : Généralement quand on entend "Ce débardeur est très frais", dans un magasin, on pense tout de suite à un motif délicat, coloré et floral ; alors que l'on devrait se dire "Waouh ! il est trop top, ce petit top !" C'est frais, c'est cool, c'est "stylé". Quelqu'un de frais, en revanche, c'est quelqu'un de sympa. Et, par extension, une fraîcheur incarne l'archétype de la jeune fille à la mode et fière de l'être. Son ego est tel qu'elle se prend pour une star dont elle singe les poses, les moues. Dans la bouche d'un garçon, il s'agit de son idéal féminin... sans simplicité, contrairement à ce que recherche le héros des Demoiselles de Rochefort. À chaque époque ses critères !

Il ou elle fait crari : On pourrait le dire d'une fraîcheur qui fait tout pour se donner un genre. Plus concrètement, faire crari, c'est faire semblant, "s'la péter", crâner.

Bolos, boloss ou bolosse : Une étiquette qui s'adresse à tous les losers, ringards, bouffons, coincés de service. Phénomène promu par le film de Ben Palmer, les "Boloss" se définissent par ce qu'ils ne sont pas, à savoir branchés, extravertis, séduisants. Initialement, leur exclusion tient à leur style souvent négligé, mais le lexique djeun's évoluant comme n'importe quelle autre langue, le terme a progressivement revêtu une connotation plus ou moins positive. Dans certains quartiers huppés de Paris, les bolosses sont tout simplement les têtes de classe, ni associables, ni frimeurs, seulement intelligents. Comme quoi un mot peut vouloir dire tout et son contraire !

"'Tain tu vas douiller" : De même que boloss, "douiller" a connu une évolution sinon logique, du moins intéressante. À l'origine, le terme dénote une dépense risquée, un achat douloureux. "Ouille, ouille, ouille ! Ça douille !", c'est cher ; ou bien "Il va douiller", c'est-à-dire il va casquer. Toutefois, les notions de souffrance et d'argent ont fini par fusionner, si bien que "Tu vas prendre cher" et "Tu vas douiller" sont devenus synonymes de souffrir, peiner, ramer.

Fais belek ou bellek : Emprunt à l'arabe - registre familier - : fais gaffe, fais attention !
S'enjailler : Ce serait faire fausse route que s'en référer directement au français. Même si le sens en est proche, s'enjailler ne vient pas de s'encanailler, mais de "enjoy" : apprécier, profiter, en anglais. Prononcé "à l'africaine", il trahit ses origines. Néologisme nouchi, argot français pratiqué en Côte d'Ivoire, on le retrouve dans "Dingue de toi", le "tube" qu'a dédié Sofiane à sa tendre Nabilla. Par "Pourvu qu'on s'enjaille", il faut entendre pourvu qu'on s'mette bien, qu'on s'amuse, qu'on s'fasse soit plaiz.

Bail(s) ou bayes : Et le chanteur de poursuivre "(pourvu) qu'on se fasse un bail...". Jusqu'à présent, "ça fait un bail" signifiait en français familier "ça fait longtemps", sous-entendu, "que l'on ne s'est pas vus" ! Désormais, le terme possède deux significations. Synonyme de choses, au sens large, il peut se traduire à la fois par affaires, nouvelles, soit par attouchements, préliminaires. Aussi "C'est quoi les bails ?" se traduit tantôt par "Comment ça va ?", "Quoi de neuf ?", tantôt par "Quels sont les potins ?", "Ils ont fait quoi ensemble ?". Réponse : des trucs. Voilà ce que Sofiane voulait : que Nabilla le chauffe !

Zder : Comment s'enjaille la jeunesse d'aujourd'hui ? En fumant. Et en fumant quoi ? Des zders. Eh oui, c'est ainsi que l'on appelle les joints. Il faut bien vivre avec son temps, même si, pour cela, on doit parfois se pourrir la santé.

Faya : Dans la lignée du vocabulaire de camés, être faya, c'est être foncedé, planer. Un état qui séduit de plus en plus d'ados en France, où le pourcentage de fumeurs de 15-16 ans est passé de 30 % à 38 %, entre 2007 et 2011.

"J'lui ai bicrave" : Le voici, le voilà, le summum de l'impropriété : "j'lui ai bicrave", c'est-à-dire je lui ai vendu de la drogue. Verbe invariable "bicrave" n'appartient ni au premier, au deuxième, ni au troisième groupe de la conjugaison française. Mais où est donc le participe passé ? Ça se dégrade grave, comme on dit.


Voilà les tics de langage, ces "bête d'" expressions qui font "tripper" les jeunes. Ces "djeuns" qui, "javoueee", "se tapent des barres" en pensant à leurs vieux, "vénères" de comprendre "ke dalle" à ce que "contera" leurs enfants [verlan de raconter à ne pas confondre avec le futur simple de conter, NDLR]. Rien qu'en comptant les guillemets, on se rend compte de l'ampleur du phénomène.

Sarah Belmont
Le Point, 22 avril 2013.



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