"Genre tu kiffes le çaisfran ! Du coup tu taffes
grave." Traduction : "C'est parce que tu aimes le français que tu
travailles autant." Si seulement ! Le français a bien changé depuis la
Gaule romaine. Entre le verlan, les anglicismes, les défauts de prononciation
et les produits de l'imagination purs, les jeunes, les djeun's d'aujourd'hui
partagent un vocabulaire encore étranger à leurs aînés. Tandis que la grammaire
se sclérose, les adultes se décomposent. Encourageante évolution ou dégradation
affligeante ? Le Point.fr a relevé quelques-unes des expressions phares de la
jeunesse actuelle.
Avoir le seum : Autrefois, on disait avoir les boules. De
nos jours, on a le "seum", à savoir un coup dur, de blues, de
déprime. C'est pas la joie, quoi ! Une expression qui traduit parfaitement le
désarroi de ceux qui ne la comprennent pas.
Avoir le swag ou du swag : Dans son acception la plus
limitée, le swag signifie le style, "la classe". Toutefois, la
connotation vestimentaire découle d'une véritable mentalité. En anglais, to
swag, c'est se mettre en avant, frimer. Quelqu'un qui a le swag ou qui est
swag, c'est donc quelqu'un qui a de l'allure et qui aime le montrer. "Un
espèce" (sic) de frimeur, en somme.
Frais / fraîcheur : Généralement quand on entend "Ce
débardeur est très frais", dans un magasin, on pense tout de suite à un
motif délicat, coloré et floral ; alors que l'on devrait se dire "Waouh !
il est trop top, ce petit top !" C'est frais, c'est cool, c'est "stylé".
Quelqu'un de frais, en revanche, c'est quelqu'un de sympa. Et, par extension,
une fraîcheur incarne l'archétype de la jeune fille à la mode et fière de
l'être. Son ego est tel qu'elle se prend pour une star dont elle singe les
poses, les moues. Dans la bouche d'un garçon, il s'agit de son idéal féminin...
sans simplicité, contrairement à ce que recherche le héros des Demoiselles de
Rochefort. À chaque époque ses critères !
Il ou elle fait crari : On pourrait le dire d'une fraîcheur
qui fait tout pour se donner un genre. Plus concrètement, faire crari, c'est
faire semblant, "s'la péter", crâner.
Bolos, boloss ou bolosse : Une étiquette qui s'adresse à
tous les losers, ringards, bouffons, coincés de service. Phénomène promu par le
film de Ben Palmer, les "Boloss" se définissent par ce qu'ils ne sont
pas, à savoir branchés, extravertis, séduisants. Initialement, leur exclusion
tient à leur style souvent négligé, mais le lexique djeun's évoluant comme
n'importe quelle autre langue, le terme a progressivement revêtu une
connotation plus ou moins positive. Dans certains quartiers huppés de Paris,
les bolosses sont tout simplement les têtes de classe, ni associables, ni
frimeurs, seulement intelligents. Comme quoi un mot peut vouloir dire tout et
son contraire !
"'Tain tu vas douiller" : De même que boloss,
"douiller" a connu une évolution sinon logique, du moins
intéressante. À l'origine, le terme dénote une dépense risquée, un achat
douloureux. "Ouille, ouille, ouille ! Ça douille !", c'est cher ; ou
bien "Il va douiller", c'est-à-dire il va casquer. Toutefois, les
notions de souffrance et d'argent ont fini par fusionner, si bien que "Tu
vas prendre cher" et "Tu vas douiller" sont devenus synonymes de
souffrir, peiner, ramer.
Fais belek ou bellek : Emprunt à l'arabe - registre familier
- : fais gaffe, fais attention !
S'enjailler : Ce serait faire fausse route que s'en référer
directement au français. Même si le sens en est proche, s'enjailler ne vient
pas de s'encanailler, mais de "enjoy" : apprécier, profiter, en
anglais. Prononcé "à l'africaine", il trahit ses origines. Néologisme
nouchi, argot français pratiqué en Côte d'Ivoire, on le retrouve dans
"Dingue de toi", le "tube" qu'a dédié Sofiane à sa tendre
Nabilla. Par "Pourvu qu'on s'enjaille", il faut entendre pourvu qu'on
s'mette bien, qu'on s'amuse, qu'on s'fasse soit plaiz.
Bail(s) ou bayes : Et le chanteur de poursuivre
"(pourvu) qu'on se fasse un bail...". Jusqu'à présent, "ça fait
un bail" signifiait en français familier "ça fait longtemps",
sous-entendu, "que l'on ne s'est pas vus" ! Désormais, le terme
possède deux significations. Synonyme de choses, au sens large, il peut se
traduire à la fois par affaires, nouvelles, soit par attouchements,
préliminaires. Aussi "C'est quoi les bails ?" se traduit tantôt par
"Comment ça va ?", "Quoi de neuf ?", tantôt par "Quels
sont les potins ?", "Ils ont fait quoi ensemble ?". Réponse :
des trucs. Voilà ce que Sofiane voulait : que Nabilla le chauffe !
Zder : Comment s'enjaille la jeunesse d'aujourd'hui ? En
fumant. Et en fumant quoi ? Des zders. Eh oui, c'est ainsi que l'on appelle les
joints. Il faut bien vivre avec son temps, même si, pour cela, on doit parfois
se pourrir la santé.
Faya : Dans la lignée du vocabulaire de camés, être faya,
c'est être foncedé, planer. Un état qui séduit de plus en plus d'ados en
France, où le pourcentage de fumeurs de 15-16 ans est passé de 30 % à 38 %,
entre 2007 et 2011.
"J'lui ai bicrave" : Le voici, le voilà, le summum
de l'impropriété : "j'lui ai bicrave", c'est-à-dire je lui ai vendu
de la drogue. Verbe invariable "bicrave" n'appartient ni au premier,
au deuxième, ni au troisième groupe de la conjugaison française. Mais où est
donc le participe passé ? Ça se dégrade grave, comme on dit.
Voilà les tics de langage, ces "bête d'"
expressions qui font "tripper" les jeunes. Ces "djeuns"
qui, "javoueee", "se tapent des barres" en pensant à leurs
vieux, "vénères" de comprendre "ke dalle" à ce que
"contera" leurs enfants [verlan de raconter à ne pas confondre avec
le futur simple de conter, NDLR]. Rien qu'en comptant les guillemets, on se
rend compte de l'ampleur du phénomène.
Sarah Belmont
Le Point, 22 avril 2013.
Le Point, 22 avril 2013.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire