lundi 23 décembre 2013

"Jeu de Paume" & "Marie-Madeleine de Proust"

ll existe dans la langue des termes qui «font la bête à deux mots». Ils s’accolent et, ciel, cela fait sens. L’écrivain Jean-Luc Fornelli en a rempli un dictionnaire, qu’il faut lire à l’«horizontale», plein de mots-valises et de paronymes délicieux : «zizigouiller», «fuziziller», «narzizisme» ou «nénécessité»… L’occasion de s’interroger sur la signification profonde de ces télescopages.
Les paronymes sont des mots qui ont à peu près la même prononciation et peuvent faire l'objet de rapprochements ludiques comme "embrasser" et "embraser", "s'enlacer" et "se lasser", ou bien "amen" et "hymen". Suivant le phénomène d’attraction paronymique (également appelé paronomase), il y a des mots qui ne cessent d’en évoquer d’autres et lorsqu’on les prononce (ou qu’on les écrit avec des fautes d’orthographe volontaires) cela donne l’impression que ces mots étaient destinés l’un à l’autre. Un sens secret relie ainsi "l’amour" à "la mort", "être ange" à "étrange" ou "baisers" à "bizarres". Il suffit d’un glissement de son pour que des objets appartenant à des domaines très éloignés de la réalité entrent en conjonction, bouleversant notre vision du monde : il y a donc du "génie" dans le "génital" ? La paronomase, -comme les rêves, les collages ou les cadavre exquis-, distord le réel, bouleverse nos catégories habituelles de pensée et ouvre notre esprit aux vérités profondes.

L’effet paronymique a tout d’un étreinte amoureuse, à la fois grotesque et féérique. Il s’agit d’échanger des voyelles comme on s’échangerait des fluides afin de créer des contrepétries par exemple : «Martyr, c’est pourrir un peu» (Prévert, jouant sur l’échange des consonnes P et M). La paronomase peut aussi prendre la forme de calembours, d’allitérations, d’anagrammes ou -plus spectaculaires- de mots-valise. Les mots-valise sont des néologismes formés par la fusion d’au moins deux mots qui sont coupés puis collés. Pour le dire plus clairement : prenez deux mots, mettez-les ensemble et vous aurez un bébé mot. Notre langue est pleine de ces rejetons nés d’associations hasardeuses. "Adulescent" (adulte-adolescent), "alicament" (aliment-médicament), "bobo" (bourgeois-bohême), "tapuscrit" (taper-manuscrit), "pourriel" (poubelle-courriel) sont désormais entrés dans la langue, tout comme ce mot "foultitude" inventé par Victor Hugo (foule-multitude) ou "craquotte" (craquant-biscotte), lancé par un génie du marketing.
(...)
Dans le conte initiatique de Lewis Carrol, pour pouvoir devenir adulte, il faut passer par cette prise de conscience que les mots eux aussi s’accouplent. Le désir traverse tout, y compris la langue, qui ne demande qu'à être prise et retournée. Dans son Nouveau Dictionnaire horizontal, Jean-Luc Fornelli organise alphabétiquement ces figures de kama-sutra sémantiques, ces crash-testicules sonores qui -ouvrant de nouvelles possibilités- nous font comprendre que les choses pourraient être différentes. 

Épinouir : (syn : bien-baiser) rendre quelqu'un heureux avec sa pine.
Consentant : vagin à l'odeur peu affriolante.
Fuziziller : tirer un ou plusieurs coups.
Homoplate: lesbienne dépourvue de poitrine.
Hôtel de passes : lupanar dévolu aux footreballeurs.
Impasse: rencontre qui ne mène à rien entre une prostituée et son client.
Inopiner: baiser par surprise.
Jeu de Paume: autre nom de la branlette.
Marie-Madeleine de Proust : fille de joie qui irradie le souvenir.
Narzizisme: amour excessif de son pénis.
Nénécessité: irrépressible envie de toucher un ou des seins.
Subitte: verge que l'on n'a pas vu venir.
Zizigouiller: tuer à coup de trique.




Jean-Luc Fornelli, Dictionnaire horizontal, Éditions Humus.
Agnès Giard, Libération 18/12/2013.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire