Ce serait un beau titre de livre sur notre destin depuis quarante ans. (Dominique Noguez, 1983)
vendredi 28 mai 2021
samedi 22 mai 2021
point-virgule
Tout était pourtant parti d'une volonté de clarification. L'affaire débute à Venise en 1494. Aldus Manutius, imprimeur et éditeur, doit assurer la publication d'un texte de l'humaniste Pietro Bembo intitulé De Aetna ; un récit qui relate sous forme de dialogues une ascension de l'Etna. Or il lui faut à tout prix domestiquer la prose éruptive de son auteur, s'il veut que ses lecteurs - même cultivés, le texte est rédigé en latin - puissent s'y retrouver.
Nous sommes à la Renaissance, ce temps béni où la ponctuation est encore une affaire personnelle ; où les grammairiens n'assurent pas encore la police de la ponctuation ; où les symboles typographiques naissent à l'envi comme nos start-up d'aujourd'hui. Manutius a alors une idée : afin de ménager des respirations dans les coulées de lave du texte, il le parsème d'un petit signe de son cru. Il opte pour une virgule chapeautée d'un point qui pourrait se glisser incognito dans le cortège des points, virgules, deux-points, parenthèses ou tirets. De quoi octroyer aux lecteurs une pause : plus appuyée que celle de la virgule ; mais moins marquée que celle d'un point. Et c'est ainsi que voit le jour le plus controversé des signes de ponctuation : le point-virgule.
Cette invention connaît aussitôt un succès foudroyant ; elle pousse sa petite corne de page en page à travers les publications des Humanistes. Le signe typographique devient signe de ralliement. Une point-virgule-mania gagne l'Europe tout entière et va crescendo au fil des ans et des siècles. Malin, il sait s'inviter partout : il se fait précis dans les essais philosophiques ; précieux dans les recueils de poésie ; implacable dans les textes juridiques ; altier dans la grande littérature ; et virevoltant dans les romans populaires. Il devient même un objet de culte chez certains. Milan Kundera, par exemple, l'adule au point de s'être séparé un jour d'un éditeur pour la seule raison que celui-ci avait tenté de changer ses points-virgules en points.
En revanche, pour d'autres, le statut hybride du point-virgule déconcerte et dérange. Par quel bout prendre ce drôle d'attelage ? Et surtout qu'en faire ? Ils se retrouvent impuissants face à ce signe fourbe et fuyant. N'a-t-il pas, par essence, le cul entre deux chaises (ni point ni virgule, mais un peu des deux quand même) ? Voire entre trois chaises, avec son faux air de deux-points (les Anglo-Saxons parlent d'ailleurs de semicolon, c'est-à-dire de « demi-deux-points ») ?
Ils sont aussi laids qu'une tique sur le ventre d'un chien
D'autres, enfin, n'ont que mépris pour ce signe bâtard. Pour Kurt Vonnegut, « les points-virgules sont à proscrire, ils ne servent qu'à prouver que vous avez été au collège ». Pour le romancier américain Donald Barthelme, « ils sont aussi laids qu'une tique sur le ventre d'un chien ». Et chez Paul Robinson, professeur à Stanford, la haine prend même une dimension existentielle : « Le point-virgule m'est devenu si détestable que je me sens presque moralement compromis lorsque je l'utilise. »
Adulé, incompris ou honni ; tel fut longtemps le destin chaotique du point-virgule. Cecelia Watson, historienne et philosophe des sciences, raconte dans Semicolon, un ouvrage passionnant consacré au point-virgule, comment ce signe typographique a toujours développé un don particulier pour provoquer des querelles autour des questions de langage, de classe sociale ou d'éducation et d'envenimer les débats savants ou littéraires. En 1837, deux professeurs de droit de l'université de Paris se seraient même écharpés sur une question d'usage du point-virgule, décidant de régler leur différend par un duel !
dimanche 16 mai 2021
Écriture inclusive
Faut-il interdire l’écriture inclusive qui vise à
reféminiser la langue française ? Le ministre de l'Éducation vient de le faire
pour l'école. À l'Assemblée nationale, trois propositions de loi veulent
l'interdire dans l'administration. Tour d’horizon des positions officielles
dans ce vieux débat.
Le ministre de l'Éducation nationale a tranché. L'écriture
inclusive n'a pas sa place dans les pratiques d'enseignement ni dans les
documents administratif du ministère. Jeudi 6 mai 2021, une circulaire parue au
Bulletin officiel de l'éducation nationale interdit l'emploi de cette pratique
linguistique à l'école.
Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes
implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les
disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l'écriture inclusive,
si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive
pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l'intelligibilité de la
langue française. Extrait de la circulaire du 6 mai 2021 sur les règles de
féminisation dans les pratiques d'enseignement
Jean-Michel Blanquer s'est exprimé plusieurs fois dans des
interview contre l'écriture inclusive. Le 2 mai dernier, dans les colonnes du
Journal du Dimanche, le ministre l'a encore condamnée parce qu'il la juge trop
élitiste et excluante pour les élèves en difficulté.
Mais cette position ne fait pas l'unanimité. Pour le
linguiste Christophe Benzitoun, enseignant chercheur à l'université de
Lorraine, auteur de Qui veut la peau du français aux éditions Robert 2021 :
L'écriture inclusive ou l'écriture non sexiste est devenue
un épouvantail politique. Dès qu'il y a une difficulté, le ou la responsable
politique brandit ce sujet comme pour faire diversion. Parce qu'en réalité, le
ministre de l'Éducation sait très bien que l'écriture inclusive ne se réduit
pas au point médian (un point suivi de la féminisation d'un mot, ndlr) et que
la véritable difficulté pour les élèves c'est notre orthographe. La forme
écrite de notre langue est restée figée depuis des siècles alors que la forme
orale elle, ne cesse d'évoluer. Or les responsables politiques refusent de voir
la langue écrite évoluer et c'est là le nœud des difficultés des élèves.
Ce n'est pas la première fois que la langue française est au
centre de polémiques politiques. Depuis 1539 et l’ordonnance de
Villers-Cotterêts, qui imposa le français dans les documents publics, la France
a une longue tradition de ce genre de débat. La féminisation de la langue
occupe ainsi la sphère politique depuis plus de quarante ans.
(...)