Il ne se passe pas un jour, sans que les jeunes – on verra d’ailleurs que le terme ne signifie pas grand-chose – soient accusés de mettre la langue en transition. Souvent pour le pire. Dans leurs façons de parler, de s’exprimer sur les « réseaux sociaux », ils appauvriraient la langue, en forgeant des lexiques nouveaux, incompréhensibles. Ils massacreraient notre vocabulaire à coups d’acronymes et de diminutifs obscurs, d’expressions ésotériques construites à partir d’un verlan opaque ou d’emprunts aux langues anglaises ou arabes. Parfois, certains acceptent même de faire un pas vers eux pour tenter de les comprendre, de les traduire. Combien d’articles de presse tentent ainsi de créer des ponts entre les générations en lançant : "Comment comprendre le langage de vos ados ?", "Savez-vous parler le langage de vos ados sur les réseaux sociaux ?", "Les 50 mots INDISPENSABLES pour parler avec les lycéens."
À en croire ces clichés et ces titrailles, on pourrait penser qu’un langage jeune, dynamique et conquérant, est en train de remplacer le bon vieux français en déclin. Mais ce langage jeune existe-t-il vraiment ? Auphélie Ferreira, doctorante en science du langage et enseignante à l’Université Sorbonne Nouvelle, travaille justement sur les pratiques langagières des jeunes, elle nous donne quelques premiers éléments de compréhension.
Il existe bien des mots ou des expressions que les jeunes que nous rencontrons inventent, que l’on découvre ou dont le sens nous échappe. "Le seum", "Vénère", "En sueur" … "De base". Les énumérer, c’est déjà vieillir. Pourtant, s’agit-il véritablement d’un nouveau langage ? Ces mots nouveaux ou plutôt, ces mots que nos générations n’emploient pas de la même façon, compliquent-ils la communication ?
Et le verlan ? Renaud y avait déjà recours dans des chansons anciennes. Et le lexique utilisé sur les réseaux sociaux ? En réalité, les linguistes nous enseignent que les réseaux sociaux sont aussi des lieux d’enrichissement de la langue, des lieux collectifs d’expérimentation. Mais alors au fond, pourquoi est-ce pernicieux de laisser croire ou penser qu’il existe plusieurs langages, selon les générations ?
En réalité, toutes les générations sont motrices des transformations de la langue, à divers degrés et selon des contextes multiples. Toutefois, rappelons qu’une langue est rarement en transition. Pour demeurer compréhensible dans le temps, pour être transmise, elle ne peut être transmise trop rapidement. Au fond, les discours sur le déclin du français sont aussi vieux que le français lui-même. Ne soyons donc pas effrayés des innovations linguistiques ponctuelles des plus jeunes. Ils ne feront pas sécession… par le truchement de la langue.
Quentin Lafay
La Transition
France Culture, 6 octobre 2021.
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