«Bienvenue à la table de grands défenseurs de
la langue française.» Au cœur du sixième arrondissement de Paris, au deuxième
étage de la brasserie française Lipp, se réunissent, ce mardi 7 décembre, neufs
éminents défenseurs de la langue française et jurés de l'Académie de la
Carpette anglaise, qui pointenté du doigt «un membre des élites françaises»
pour son soutien à l'anglais au détriment du français. Et en fait avec ironie,
son champion.
Après deux années blanches, le tour de table
a pu reprendre cette année. Au bonheur de ses jurés, ravis de se revoir. Pour
l'édition 2021, étaient en lice : Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, qui
a mis en place la nouvelle carte d'identité bilingue français/anglais, le
dictionnaire Le Robert pour l'intégration du pronom «iel» dans ses colonnes
numériques ainsi que la société Danone qui a remplacé sa gamme «Taillefine» par
«Light & Free». Le tout poussé par une communication massive à base
d'anglicismes «One Planet. One Health».
«Je me permets d'ajouter la région
Île-de-France, est intervenu Albert Salon, ancien ambassadeur et actuel
président de l'Avenir de la langue française. En 2018, la région a renommé le
“pass Navigo” en “Navigo Easy”.» Pour Eugénie Bastié, comme pour Guillemette
Mouren-Verret, l'adoption du «iel» par Le Robert est notable car elle témoigne
de la «wokisation du langage». Après d'âpres débats et un double vote, Gérald
Darmanin a finalement obtenu gain de cause. «La carte d'identité c'est
important», ont noté les jurés. Il se voit ainsi lauréat 2021 de la Carpette
anglaise, après la Banque postale qui en 2019 avait nommé un de ses services
«My French Bank».
Les jurés se sont par la suite penchés sur le
cas du lauréat du «prix à titre étranger», réservé aux francophones. Sur une
proposition de Marc Favre d'Échallens, le nom de Michael Rousseau a été évoqué.
En effet, le président d'Air Canada, a déclaré en novembre dernier : «J'ai été
capable de vivre à Montréal sans parler français. C'est tout à l'honneur de
cette ville». Des propos dont il s'est excusé après avoir créé la polémique
dans ce pays où le français est une langue officielle au niveau fédéral.
Une proposition qui n'a pas convaincu Albert Salon. L'ancien diplomate a évoqué le nom de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «C'est très grave, l'anglais a remplacé le français comme langue officielle dans presque toutes les institutions européennes». Alors que l'anglais n'est parlé désormais que par 1% des Européens après le Brexit, la langue de Shakespeare continue d'être majoritaire au sein des institutions européennes. «Ursula von der Leyen persiste et signe dans cette dynamique, nous aussi», s'insurge Marie-Josée de Saint-Robert, ancienne chef du service linguistique à l'ONU Genève. Un affront qui lui a valu pour la deuxième fois le prix de la carpette étrangère.
Voilà 20 ans exactement que l'Académie pointe ainsi du doigt les "déserteurs de la langue française". Au fil du temps, elle a établi un palmarès dont on ne sait s'il faut rire ou pleurer. Florilège.
- En 2000, le ministre de la Défense de l'époque, Alain Richard, oblige les militaires français à parler anglais au sein du corps européen dont ne fait partie aucun anglophone.
- En 2004, Claude Simonet, président de la fédération française de football, choisit comme hymne de l'équipe de France la chanson Can you feel it.
- En 2006, le Conseil constitutionnel déclare le protocole de Londres sur les brevets conforme à la Constitution, ce qui permet à un texte en langue anglaise d'avoir un effet juridique en France.
- En 2007, Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances, communique avec ses services dans la langue de Shakespeare.
-
En 2013, Tom Enders, président exécutif d'EADS (Airbus), s'adresse en anglais à
ses salariés allemands, espagnols et français. Pour faire bonne mesure, la
vidéo est sous-titrée... en anglais.
Marie-Liévine Michalik
Le Figaro, 07/12/2021
→ Académie de la Carpette...
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