jeudi 23 décembre 2010

Le sniper des plateaux télé & la langue ­française


C’est aussi grâce à la langue ­française que vous avez rencontré Veronika ?
Eric Naulleau. J’ai voulu faire mon service militaire en coopération. Je pensais aller au Maroc ou en Italie. “C’est la Bulgarie ou la caserne”, m’a-t-on dit à l’armée. J’ai soutenu mon DEA de lettres à Nanterre un mercredi, je me suis envolé pour la Bulgarie le vendredi, et j’ai commencé à enseigner le français là-bas, le samedi matin, à 7 h 15. Ça a changé ma vie, y compris sur le plan sentimental : Veronika était l’une de mes élèves de première, il y a vingt-trois ans.Elle était alors mineure.

Votre idylle n’a pas dû être du goût des autorités bulgares...
E.N. C’était interdit sur tous les plans : la relation majeur-mineure, la relation prof-élève et la relation Est-Ouest. Les élèves étaient tous aux Jeunesses communistes et on leur expliquait qu’un prof de l’Occident était une moitié d’espion.

Veronika Naulleau. Eric est rentré seul en France. Moi, j’ai fini mes études. Après la chute du Mur, il y a alors eu quelques mois de relâchement politique, durant lesquels on a découvert qu’on pouvait voyager. J’en ai profité pour le rejoindre en France.

E.N. Nous devons beaucoup au mur de Berlin et aux Allemands de l’Est.

Interview Caroline Bonacossa 
 Paris Match 20 décembre 2010


mercredi 22 décembre 2010

Plus d'un million d'Américains apprennent la langue de Stendhal ( le français)

Quand l'apprentissage du français fait débat aux États-Unis
L'université publique de la capitale de l'État de New York a annoncé la baisse de la taille des départements de langues étrangères


Selon les chiffres de l'Organisation internationale de la francophonie, le français est la langue maternelle ou la première langue étrangère de près de 200 millions de personnes dans 54 pays

Un éditorialiste qui se déchaîne, des diplomates qui interviennent, des forums à venir : l'annonce de la réduction prochaine du département de langues étrangères et notamment de français d'une université publique américaine suscite des remous chez les linguistes. " Parmi 6.000 langues existantes, pourquoi serait-il si important d'apprendre celle qui est parlée dans un petit pays européen à l'influence en déclin constant ? " : la phrase qui jette de l'huile sur le feu est signée d'un éminent éditorialiste, licencié ès lettres françaises, John McWhorter.

Son article, publié dans le bimensuel de centre gauche The New Republic, est paru quelques semaines après que SUNY-Albany, l'université publique de la capitale de l'État de New York, eut annoncé que les coupes budgétaires l'amenaient à réduire la taille des départements de langues étrangères, et notamment de français, d'italien et de russe. Pour John McWhorter, " Nietzsche et Balzac peuvent être lus en traduction anglaise, et le monde ne s'arrête pas à l'Europe ". En période de coupes sombres dans les subventions publiques, SUNY est loin d'être le seul établissement universitaire qui envisage de réduire l'enseignement des langues étrangères, quitte à favoriser l'apprentissage de langues plus en phase avec la mondialisation, notamment le chinois ou l'arabe.

Du côté de la francophonie, on est inquiet. "Il est vrai que si le seul but est de faire des affaires, le français n'est peut-être pas la langue du 'business', mais une langue n'est pas faite que pour servir", dit Marie-Monique Steckel, présidente du French Institute-Alliance Française (FIAF). "Nous avons 6.000 élèves inscrits et le nombre ne diminue pas", ajoute-t-elle. À la "Maison française" de la prestigieuse université Columbia à New York, une conférence est prévue en avril, sur le thème "Pourquoi la langue française compte". La conférence "permettra à des personnalités américaines du monde de la culture, de l'éducation, de l'art, des médias, des affaires ou de la diplomatie, pour qui l'apprentissage du français a été capital, d'exprimer leur point de vue", explique la directrice de la Maison française, Shanny Peer.

Selon les chiffres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), le français est la langue maternelle ou la première langue étrangère de près de 200 millions de personnes dans 54 pays. Langue officielle de 14 pays, elle est une des langues officielles de l'ONU, de l'Otan, du Comité olympique international, de la Croix-Rouge, ou de l'Union postale universelle.

Nouveau conseiller culturel de l'Ambassade de France, Antonin Baudry est représentant permanent des universités françaises aux États-Unis. Très concerné par l'enseignement du français, il est en contact avec une centaine d'universités américaines. Il s'est rendu il y a quelques jours à SUNY Albany pour rencontrer les responsables de l'Université et essayer de trouver une alternative à la fermeture du département de français. La décision des autorités est toujours attendue. "Aujourd'hui les universités donnent la priorité à l'internationalisation, on ne peut pas tourner le dos au monde", dit le diplomate. 

"Plus d'un million d'Américains apprennent le français, et la demande est supérieure à l'offre. La preuve, c'est le succès des programmes bilingues récemment mis en place dans des dizaines d'écoles américaines, qui font salle comble et touchent déjà 15.000 élèves", souligne-t-il. Pour lui, une des solutions consisterait à ce que, dans les universités américaines, chaque professeur de français enseigne dans un deuxième département. "C'est déjà le cas dans plusieurs universités, comme celle de Columbia", précise-t-il. "S'il n'y a pas assez d'argent pour bien enseigner à la fois l'arabe et la langue de Stendhal, je ne vois pas pourquoi Stendhal devrait être celui qui l'emporte", insiste de son côté John McWhorter.


Le Point.fr & AFP  21 décembre 2010.


mardi 21 décembre 2010

La « fortuitude » de Voltaire

« Sérendipité » est, en français, un néologisme créé par calque de l'anglais à partir du mot « serendipity ».
Un nouveau mot commence à apparaître désignant également cette notion : la « fortuitude ».

Ce terme a été introduit en 1754 par Horace Walpole pour désigner des « découvertes inattendues, faites grâce au hasard et à l’intelligence ». Walpole s'était inspiré du titre d'un conte persan intitulé Voyages et aventures des trois princes de Serendip, où les héros, tels des chasseurs, utilisaient des indices pour décrire un animal qu'ils n'avaient pas vu. Le mot serendipity ne fait toutefois pas allusion à ce passage, mais à la fin du conte, où les héros deviennent riches, célèbres et adulés, alors qu'ils étaient simplement partis chercher l'aventure.

Plus précisément, le mot fut créé par Walpole, le 28 janvier 1754, dans une lettre à son ami Horace Mann, envoyé du roi George II à Florence. Walpole y fait mention de ce conte persan, Les Trois Princes de Serendip, publié en italien en 1557 par l'éditeur vénitien Michele Tramezzino et traduit dès 1610 en français. Serendib ou Serendip était l'ancien nom donné au Sri Lanka en vieux persan.

L'histoire raconte que le roi de Serendip envoie ses trois fils à l'étranger parfaire leur éducation. En chemin, ils ont de nombreuses aventures au cours desquelles, ils utilisent des indices souvent très ténus grâce auxquels ils remontent logiquement à des faits dont ils ne pouvaient avoir aucune connaissance par ailleurs. Ils sont ainsi capables de décrire précisément un chameau qu'ils n'ont pas vu : « J'ai cru, seigneur, que le chameau était borgne, en ce que j'ai remarqué d'un côté que l'herbe était toute rongée, et beaucoup plus mauvaise que celle de l'autre, où il n'avait pas touché ; ce qui m'a fait croire qu'il n'avait qu'un œil, parce que, sans cela, il n'aurait jamais laissé la bonne pour manger la mauvaise. »
Walpole précise dans sa lettre que les jeunes princes font simplement preuve de sagacité, et que leurs découvertes sont purement fortuites.

Ce conte a inspiré le Zadig de Voltaire, où le héros décrit de manière détaillée une chienne et un cheval en déchiffrant des traces sur le sol ; il est accusé de vol et se disculpe en refaisant de vive voix le travail mental effectué.


lundi 20 décembre 2010

Une société qui néglige Voltaire finira par oublier Homère

 (...) Ni nostalgie pourtant, ni pessimisme chez cette grande intellectuelle qui jugeait les années 2000 « inquiétantes et pleines de périls », mais restait confiante dans la « possibilité humaine de se reprendre, de se redresser et, avec l'aide du passé, d'inventer quelque chose de mieux ». Les Grecs contemporains l'adoraient et lui avaient souvent exprimé leur gratitude. Membre correspondant étranger de l'Académie d'Athènes, Jacqueline de Romilly avait obtenu la nationalité grecque en 1995 et avait été nommée ambassadrice de l'hellénisme en 2000.

« Elle a souffert énormément depuis quelques dizaines d'années de voir l'étude de cette langue décliner, et cela a été pour elle un immense chagrin », a réagi sur France Info Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, jugeant que le meilleur hommage à lui rendre « serait d'attacher plus d'importance désormais à la langue grecque dont elle a été le plus grand défenseur dans notre pays ». « C'est une perte pour notre pays », a-t-elle ajouté.

« Avec Jacqueline de Romilly s'éteint une grande humaniste dont la parole nous manquera, mais que nous pouvons et devons cultiver à travers les innombrables témoignages qu'elle nous lègue », a jugé Nicolas Sarkozy dans un communiqué. De son côté, François Fillon a exprimé sa « peine » à la suite du décès de Jacqueline de Romilly, « grande dame des lettres et de la culture qui eut une longue et brillante carrière ».

Le Figaro.fr 19 déc.2010.