mercredi 15 décembre 2021

Carpette

«Bienvenue à la table de grands défenseurs de la langue française.» Au cœur du sixième arrondissement de Paris, au deuxième étage de la brasserie française Lipp, se réunissent, ce mardi 7 décembre, neufs éminents défenseurs de la langue française et jurés de l'Académie de la Carpette anglaise, qui pointenté du doigt «un membre des élites françaises» pour son soutien à l'anglais au détriment du français. Et en fait avec ironie, son champion.

 

Après deux années blanches, le tour de table a pu reprendre cette année. Au bonheur de ses jurés, ravis de se revoir. Pour l'édition 2021, étaient en lice : Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, qui a mis en place la nouvelle carte d'identité bilingue français/anglais, le dictionnaire Le Robert pour l'intégration du pronom «iel» dans ses colonnes numériques ainsi que la société Danone qui a remplacé sa gamme «Taillefine» par «Light & Free». Le tout poussé par une communication massive à base d'anglicismes «One Planet. One Health».

 

«Je me permets d'ajouter la région Île-de-France, est intervenu Albert Salon, ancien ambassadeur et actuel président de l'Avenir de la langue française. En 2018, la région a renommé le “pass Navigo” en “Navigo Easy”.» Pour Eugénie Bastié, comme pour Guillemette Mouren-Verret, l'adoption du «iel» par Le Robert est notable car elle témoigne de la «wokisation du langage». Après d'âpres débats et un double vote, Gérald Darmanin a finalement obtenu gain de cause. «La carte d'identité c'est important», ont noté les jurés. Il se voit ainsi lauréat 2021 de la Carpette anglaise, après la Banque postale qui en 2019 avait nommé un de ses services «My French Bank».

Les jurés se sont par la suite penchés sur le cas du lauréat du «prix à titre étranger», réservé aux francophones. Sur une proposition de Marc Favre d'Échallens, le nom de Michael Rousseau a été évoqué. En effet, le président d'Air Canada, a déclaré en novembre dernier : «J'ai été capable de vivre à Montréal sans parler français. C'est tout à l'honneur de cette ville». Des propos dont il s'est excusé après avoir créé la polémique dans ce pays où le français est une langue officielle au niveau fédéral.

 

Une proposition qui n'a pas convaincu Albert Salon. L'ancien diplomate a évoqué le nom de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «C'est très grave, l'anglais a remplacé le français comme langue officielle dans presque toutes les institutions européennes». Alors que l'anglais n'est parlé désormais que par 1% des Européens après le Brexit, la langue de Shakespeare continue d'être majoritaire au sein des institutions européennes. «Ursula von der Leyen persiste et signe dans cette dynamique, nous aussi», s'insurge Marie-Josée de Saint-Robert, ancienne chef du service linguistique à l'ONU Genève. Un affront qui lui a valu pour la deuxième fois le prix de la carpette étrangère.


Voilà 20 ans exactement que l'Académie pointe ainsi du doigt les "déserteurs de la langue française". Au fil du temps, elle a établi un palmarès dont on ne sait s'il faut rire ou pleurer. Florilège.

- En 2000, le ministre de la Défense de l'époque, Alain Richard, oblige les militaires français à parler anglais au sein du corps européen dont ne fait partie aucun anglophone.

 - En 2004, Claude Simonet, président de la fédération française de football, choisit comme hymne de l'équipe de France la chanson Can you feel it.

- En 2006, le Conseil constitutionnel déclare le protocole de Londres sur les brevets conforme à la Constitution, ce qui permet à un texte en langue anglaise d'avoir un effet juridique en France.

- En 2007, Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances, communique avec ses services dans la langue de Shakespeare.

- En 2013, Tom Enders, président exécutif d'EADS (Airbus), s'adresse en anglais à ses salariés allemands, espagnols et français. Pour faire bonne mesure, la vidéo est sous-titrée... en anglais.


 Liste des membres du jury présents en 2019: Philippe de Saint Robert (écrivain, président du Prix), Marc Favre-d'Échallens (secrétaire général), Eugénie Bastié (journaliste), Paul-Marie Coûteaux (député honoraire), Yves Frémion (écrivain), Geoffroy Lejeune (journaliste), Guillemette Mouren (Défense de la langue française), Marie-Josée de Saint Robert (linguiste), Marie Treps (linguiste), Marie-Christine Vacavant (Cercle littéraire des écrivains cheminots). 

Marie-Liévine Michalik
Le Figaro,  07/12/2021

Académie de la Carpette...



dimanche 21 novembre 2021

Voix

 

Rythme, intensité, accent : comment les médias formatent la voix

Rythme de l’info continue, jeunisme, tempo pub... les médias de masse sont à la fois reflet et acteur du présent : sous la pression de la concurrence qui les assujettit au flux tendu, radios et télés font émerger de nouveaux formats de voix en se faisant l’instrument de leur normalisation.

 

 Pierre-Marc De Biasi.
4 décembre 2017.


vendredi 19 novembre 2021

iel

 


Le pronom « iel » ajouté par Le Robert dans son édition en ligne

L’entrée dans le dictionnaire du pronom non genré, contraction d’« il » et d’« elle », a été critiquée, mercredi, par Jean-Michel Blanquer. « La mission du Robert est d’observer l’évolution d’une langue française en mouvement, diverse, et d’en rendre compte », rétorque son éditeur.
Le Monde , le 17 novembre 2021


 Signe de sa vitalité »

« Iel », contraction d’« il » et d’« elle », est un « pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L’usage du pronom iel dans la communication inclusive », peut-on lire sur le site du dictionnaire.




mercredi 6 octobre 2021

Langage jeune

 Il ne se passe pas un jour, sans que les jeunes – on verra d’ailleurs que le terme ne signifie pas grand-chose – soient accusés de mettre la langue en transition. Souvent pour le pire. Dans leurs façons de parler, de s’exprimer sur les « réseaux sociaux », ils appauvriraient la langue, en forgeant des lexiques nouveaux, incompréhensibles. Ils massacreraient notre vocabulaire à coups d’acronymes et de diminutifs obscurs, d’expressions ésotériques construites à partir d’un verlan opaque ou d’emprunts aux langues anglaises ou arabes. Parfois, certains acceptent même de faire un pas vers eux pour tenter de les comprendre, de les traduire. Combien d’articles de presse tentent ainsi de créer des ponts entre les générations en lançant : "Comment comprendre le langage de vos ados ?", "Savez-vous parler le langage de vos ados sur les réseaux sociaux ?", "Les 50 mots INDISPENSABLES pour parler avec les lycéens." 

À en croire ces clichés et ces titrailles, on pourrait penser qu’un langage jeune, dynamique et conquérant, est en train de remplacer le bon vieux français en déclin. Mais ce langage jeune existe-t-il vraiment ? Auphélie Ferreira, doctorante en science du langage et enseignante à l’Université Sorbonne Nouvelle, travaille justement sur les pratiques langagières des jeunes, elle nous donne quelques premiers éléments de compréhension.

Il existe bien des mots ou des expressions que les jeunes que nous rencontrons inventent, que l’on découvre ou dont le sens nous échappe. "Le seum", "Vénère", "En sueur" … "De base". Les énumérer, c’est déjà vieillir. Pourtant, s’agit-il véritablement d’un nouveau langage ? Ces mots nouveaux ou plutôt, ces mots que nos générations n’emploient pas de la même façon, compliquent-ils la communication ?

Et le verlan ? Renaud y avait déjà recours dans des chansons anciennes. Et le lexique utilisé sur les réseaux sociaux ? En réalité, les linguistes nous enseignent que les réseaux sociaux sont aussi des lieux d’enrichissement de la langue, des lieux collectifs d’expérimentation. Mais alors au fond, pourquoi est-ce pernicieux de laisser croire ou penser qu’il existe plusieurs langages, selon les générations ?

En réalité, toutes les générations sont motrices des transformations de la langue, à divers degrés et selon des contextes multiples. Toutefois, rappelons qu’une langue est rarement en transition. Pour demeurer compréhensible dans le temps, pour être transmise, elle ne peut être transmise trop rapidement. Au fond, les discours sur le déclin du français sont aussi vieux que le français lui-même. Ne soyons donc pas effrayés des innovations linguistiques ponctuelles des plus jeunes. Ils ne feront pas sécession… par le truchement de la langue. 

Quentin Lafay
La Transition 
France Culture, 6 octobre 2021.


vendredi 25 juin 2021

samedi 22 mai 2021

point-virgule

 

Tout était pourtant parti d'une volonté de clarification. L'affaire débute à Venise en 1494. Aldus Manutius, imprimeur et éditeur, doit assurer la publication d'un texte de l'humaniste Pietro Bembo intitulé De Aetna ; un récit qui relate sous forme de dialogues une ascension de l'Etna. Or il lui faut à tout prix domestiquer la prose éruptive de son auteur, s'il veut que ses lecteurs - même cultivés, le texte est rédigé en latin - puissent s'y retrouver.

Nous sommes à la Renaissance, ce temps béni où la ponctuation est encore une affaire personnelle ; où les grammairiens n'assurent pas encore la police de la ponctuation ; où les symboles typographiques naissent à l'envi comme nos start-up d'aujourd'hui. Manutius a alors une idée : afin de ménager des respirations dans les coulées de lave du texte, il le parsème d'un petit signe de son cru. Il opte pour une virgule chapeautée d'un point qui pourrait se glisser incognito dans le cortège des points, virgules, deux-points, parenthèses ou tirets. De quoi octroyer aux lecteurs une pause : plus appuyée que celle de la virgule ; mais moins marquée que celle d'un point. Et c'est ainsi que voit le jour le plus controversé des signes de ponctuation : le point-virgule.

Cette invention connaît aussitôt un succès foudroyant ; elle pousse sa petite corne de page en page à travers les publications des Humanistes. Le signe typographique devient signe de ralliement. Une point-virgule-mania gagne l'Europe tout entière et va crescendo au fil des ans et des siècles. Malin, il sait s'inviter partout : il se fait précis dans les essais philosophiques ; précieux dans les recueils de poésie ; implacable dans les textes juridiques ; altier dans la grande littérature ; et virevoltant dans les romans populaires. Il devient même un objet de culte chez certains. Milan Kundera, par exemple, l'adule au point de s'être séparé un jour d'un éditeur pour la seule raison que celui-ci avait tenté de changer ses points-virgules en points.

En revanche, pour d'autres, le statut hybride du point-virgule déconcerte et dérange. Par quel bout prendre ce drôle d'attelage ? Et surtout qu'en faire ? Ils se retrouvent impuissants face à ce signe fourbe et fuyant. N'a-t-il pas, par essence, le cul entre deux chaises (ni point ni virgule, mais un peu des deux quand même) ? Voire entre trois chaises, avec son faux air de deux-points (les Anglo-Saxons parlent d'ailleurs de semicolon, c'est-à-dire de « demi-deux-points ») ?

Ils sont aussi laids qu'une tique sur le ventre d'un chien

D'autres, enfin, n'ont que mépris pour ce signe bâtard. Pour Kurt Vonnegut, « les points-virgules sont à proscrire, ils ne servent qu'à prouver que vous avez été au collège ». Pour le romancier américain Donald Barthelme, « ils sont aussi laids qu'une tique sur le ventre d'un chien ». Et chez Paul Robinson, professeur à Stanford, la haine prend même une dimension existentielle : « Le point-virgule m'est devenu si détestable que je me sens presque moralement compromis lorsque je l'utilise. »

Adulé, incompris ou honni ; tel fut longtemps le destin chaotique du point-virgule. Cecelia Watson, historienne et philosophe des sciences, raconte dans Semicolon, un ouvrage passionnant consacré au point-virgule, comment ce signe typographique a toujours développé un don particulier pour provoquer des querelles autour des questions de langage, de classe sociale ou d'éducation et d'envenimer les débats savants ou littéraires. En 1837, deux professeurs de droit de l'université de Paris se seraient même écharpés sur une question d'usage du point-virgule, décidant de régler leur différend par un duel !

(...) 
Les Échos, 21 mai 2021.
Paul Vacca


dimanche 16 mai 2021

Écriture inclusive

Faut-il interdire l’écriture inclusive qui vise à reféminiser la langue française ? Le ministre de l'Éducation vient de le faire pour l'école. À l'Assemblée nationale, trois propositions de loi veulent l'interdire dans l'administration. Tour d’horizon des positions officielles dans ce vieux débat.

 

Le ministre de l'Éducation nationale a tranché. L'écriture inclusive n'a pas sa place dans les pratiques d'enseignement ni dans les documents administratif du ministère. Jeudi 6 mai 2021, une circulaire parue au Bulletin officiel de l'éducation nationale interdit l'emploi de cette pratique linguistique à l'école.

 

Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l'écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l'intelligibilité de la langue française. Extrait de la circulaire du 6 mai 2021 sur les règles de féminisation dans les pratiques d'enseignement

 

Jean-Michel Blanquer s'est exprimé plusieurs fois dans des interview contre l'écriture inclusive. Le 2 mai dernier, dans les colonnes du Journal du Dimanche, le ministre l'a encore condamnée parce qu'il la juge trop élitiste et excluante pour les élèves en difficulté.

 

Mais cette position ne fait pas l'unanimité. Pour le linguiste Christophe Benzitoun, enseignant chercheur à l'université de Lorraine, auteur de Qui veut la peau du français aux éditions Robert 2021 :

 

L'écriture inclusive ou l'écriture non sexiste est devenue un épouvantail politique. Dès qu'il y a une difficulté, le ou la responsable politique brandit ce sujet comme pour faire diversion. Parce qu'en réalité, le ministre de l'Éducation sait très bien que l'écriture inclusive ne se réduit pas au point médian (un point suivi de la féminisation d'un mot, ndlr) et que la véritable difficulté pour les élèves c'est notre orthographe. La forme écrite de notre langue est restée figée depuis des siècles alors que la forme orale elle, ne cesse d'évoluer. Or les responsables politiques refusent de voir la langue écrite évoluer et c'est là le nœud des difficultés des élèves.

 

Ce n'est pas la première fois que la langue française est au centre de polémiques politiques. Depuis 1539 et l’ordonnance de Villers-Cotterêts, qui imposa le français dans les documents publics, la France a une longue tradition de ce genre de débat. La féminisation de la langue occupe ainsi la sphère politique depuis plus de quarante ans.

 

(...)

 Cécile de Kervasdoué

France Culture
9 mai 2021.

 


dimanche 31 janvier 2021

Franglais

 

Il court, il court, le chagrin. Le français, notre langue, est-il voué à se trouver submergé par l’anglais – à moins qu’il faille dire l’américain ? 

→ CONCORDANCE DES TEMPS par Jean-Noël Jeanneney

samedi 30 janvier 2021, 10h00
France Culture




jeudi 7 janvier 2021

Mots en 2020


Finir 2020 en beauté - ou le jour où j'ai placé 10 secondes d'un titre d' sur le plateau de #lifegoals (Et sinon, le reste de la chronique devrait vous intéresser aussi)