« Sarkozy parle aussi mal que Georges Marchais »
Jean Véronis, linguiste, analyse le parler du président de la République :
Nicolas Sarkozy parle mal. En ces temps où le chef de l’Etat veut se « présidentialiser », cela fait tache. Pour bien le souligner, François Loncle, député (PS), s’est amusé à demander au ministre de l’Education nationale pourquoi le Président « malmène la grammaire et la syntaxe ». La réponse de Luc Chatel est savoureuse : certes, le Président ne parle pas comme un « puriste », écrit le ministre, mais c’est pour éviter le « style amphigourique », et rechercher la « proximité » et la « spontanéité ». Pour le linguiste Jean Véronis, auteur des Mots de Nicolas Sarkozy (1), le maire de Chaumont (Haute-Marne) a tout faux.
Le « parler-mal » de Nicolas Sarkozy est-il spécifique ?
Oui et non. Nicolas Sarkozy n’est pas le premier, parmi les personnalités politiques de tout bord, à massacrer le langage. Rappelez-vous Georges Marchais ! Mais, c’est la première fois que cela arrive à un Président dans l’histoire de la Ve République, un régime de tradition monarchique, dont les présidents étaient tous des lettrés. Le général de Gaulle était un grand écrivain, François Mitterrand s’est fait photographier devant une bibliothèque, et même Jacques Chirac était beaucoup plus cultivé qu’il ne le laissait paraître. Avec Nicolas Sarkozy, il y a clairement une rupture.
Quelles fautes fait-il ?
Il fait des fautes typiques du « parler popu », et de ceux qui n’ont pas fait d’études. Il oublie les négations, en disant « je suis pas ». Il fait des erreurs de préposition, quand il dit « je remercie à chacun », ou « je me rappelle de quelque chose ». Il y a aussi un recours au double marquage des pronoms avec des phrases du type : « Le Premier ministre, il a dit…»
Est-ce maîtrisé ?
Je ne pense pas. Dans ses interviews anciennes, le jeune Sarkozy parlait déjà de la même façon. Pour ses discours de campagne électorale, il y a clairement deux hommes. Celui qui lit les discours écrits par Henri Guaino - pour le coup un grand écrivain - et maîtrise la langue, et celui qui improvise, s’adressant directement au public, et retombe dans le « parler popu ». Après, il est malin, et il en joue. Dans sa stratégie de conquête du pouvoir, il a clairement utilisé un registre relâché avec l’objectif de séduire l’électorat ouvrier. On le voit quand il visite une usine. Mais, il ne fait qu’exagérer une tendance naturelle.
Luc Chatel met en avant le caractère «spontané» et «proche» du style Sarkozy. Est-il efficace ?
Contrairement à l’idée reçue, les classes populaires n’aiment pas forcément que les élites utilisent le «parler popu». Elles sont passées par l’école de la République et, dès 10 ans, savent ce qu’est le bon français. Elles le parlent souvent mieux que Sarkozy ! C’est pourquoi le style de Jean-Marie Le Pen, l’un des acteurs politiques qui a le plus de vocabulaire et utilise le mieux la syntaxe, n’a jamais été un obstacle pour être populaire au sein des classes ouvrières.
Comment expliquer alors que Sarkozy parle aussi mal ?
Pour moi, c’est un mystère qu’un homme élevé dans une famille bourgeoise à Neuilly parle aussi mal que Georges Marchais. Surtout qu’il n’existe pas, actuellement, d’autre dirigeant politique qui cumule, comme lui, les erreurs de français. Mais il y a d’autres énigmes. Pourquoi personne ne s’en est rendu compte avant qu’il ne devienne président ? Pendant la campagne de 2007, tout le monde est tombé sur la « bravitude » de Ségolène Royal. J’ai souvenir d’un barbarisme aussi fort. Au micro de France Inter, il avait dit : « Ne me prêtez pas une telle fatitude. » Il voulait dire fatuité.
Que pensez-vous de son utilisation récente de l’imparfait du subjonctif ?
Nicolas Sarkozy est très sensible aux spin doctors qui l’entourent et lui disent de corriger son image. C’est comme avec les lunettes Ray-Ban ou ses tics. Il sait qu’il doit se maîtriser pour gagner l’élection. Mais c’est artificiel. En dehors de certaines personnes âgées, plus personne aujourd’hui n’utilise l’imparfait du subjonctif. D’ailleurs, il y a eu plusieurs occasions au cours de cette interview télévisée où, s’il avait été cohérent, il aurait dû utiliser ce temps inusité. Mais il ne l’a pas fait.
1 - Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, Les Mots de Nicolas Sarkozy. Éditions du Seuil, 2008.
Par Nicolas Cori
Libération, 6 janvier 2011.
Libération, 6 janvier 2011.
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