Lire la presse chaque jour, surtout à l'époque où il avait la charge de sa revue matinale sur France Inter, a permis à Frédéric Pommier d'intégrer les travers de l'écriture journalistique. Pire, il en a compris les règles et les usages, jusqu'à se sentir obligé d'en rire et de la prendre à revers.
Dans une chronique qu'il tient chaque semaine dans l'émission de Pascale Clark Comme on nous parle (en plus de son autre chronique, "Pop Corner", dans l'émission de Philippe Colin, 5-7 Boulevard), le journaliste espiègle se livre à un exercice jouissif de déconstruction du jargon médiatique. Il lui suffit de lire les journaux, d'écouter la télé et la radio pour qu'une idée s'impose facilement d'elle-même : les tics de langage et les formules passe-partout saturent l'espace médiatique, et par ricochet notre propre espace mental.
Le langage a quelque chose d'un pouvoir nocif, quasi "totalitaire", qui s'impose à nous, nous étreint et nous piège sans qu'on trouve les ressources pour échapper à son joug. Du coup, comme dit souvent Pommier, lui-même victime de cette loi commune, nous parlons tous à peu près de la même manière, dans une forme de mimétisme inquiétant. Au point, par moments, de se crisper en entendant à tout bout de champ « c'est que du bonheur », déjà brillamment analysé par l'anthropologue Eric Chauvier dans un essai paru chez Allia (Que du bonheur), ou encore « j'adore », « c'est du grand n'importe quoi », « improbable », « surréaliste », « hallucinant »... Qui n'a pas entendu « Aznavour, j'adore, mais Dick Rivers, c'est juste pas possible » ? C'est juste pas possible, en effet.
C'est ce que Frédéric Pommier appelle dans l'introduction du recueil de ses chroniques, des « maladies auditivement transmissibles » (MAT) : un poison qui circule dans les médias, réceptacle principal de notre langue appauvrie par le conformisme de ses mots choisis.
« Si nos mots en toc et nos formules en tic se répandent si facilement, c'est bien sûr grâce aux médias et particulièrement à la télévision qui brasse et qui diffuse les différents niveaux de langue et toutes les petites maladies du parler d'aujourd'hui. »
Son recueil ressemble à une petite et légère anthologie des mots et des expressions à éviter autant que possible, jusqu'à ce que les prochains et encore secrets surgissent immanquablement : la machine sociale à fabriquer du conformisme linguistique ne s'arrête jamais. « Monter au créneau », « revoir sa copie », « reprendre la main », « aller au chevet », les « foules d'anonymes », « dans l'entourage », « sous haute surveillance », « jouer à la maison », « le dernier des grands », « revisiter » une oeuvre, la question « faut-il avoir peur ?» (l'une des meilleures chroniques sur la « foulatrouille » des journalistes)... dessinent le paysage plat d'un langage social plus fort que la langue de chacun.
Les journalistes, parce qu'on les entend plus que les autres, jouent malgré eux les porte-voix de cette douce monstruosité qui veut que les mots reflètent la pensée dominante, celle qui habite notre inconscient. Voilà, voilà, c'est clair.
Frédéric Pommier, Mots en toc et formules en tic, petites maladies du parler d'aujourd'hui. Éditions du Seuil, France Inter, 171 pages, 13€.
Jean-Marie Durand
Les Inrocks, 3 novembre 2010.
Les Inrocks, 3 novembre 2010.
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