On est un peu inquiet pour les Bretons. Selon le documentaire Breizh Erotik, de Roland Thepot, diffusé actuellement dans le cadre du mois de la culture bretonne, leur langue manque de mots liés à l’érotisme et au sexe. Ninnog Latimier, qui intervient dans le film, a traduit Les monologues du vagin : «Je
me suis aperçu que ces mots manquaient dans notre vocabulaire breton.
Ce n’est pas seulement culturel, cela vient du vécu et de la religion.»
La question de l’érotisme se pose évidemment pour toutes les langues et patois de France, en témoigne ainsi les Expressions érotiques en Poitou-Charentes, Vendée du linguiste Jean-Jacques Chevrier où l’on apprend que «jouer à touche pipi» peut se traduire par «jhouàe a grate couni».
Au détour de ces sérendipités linguistes, on est tombé sur un bel ouvrage, numérisé par Google : le Glossaire érotique de la Langue Française depuis son origine jusqu’à nos jours, datant de 1861. L’auteur, Auguste Scheler, sous le pseudo de Louis de Landes, propose plus de 2 000 définitions de «tous les mots consacrés à l’amour». Pour ce linguiste suisse du XIXème siècle, la publication d’un tel glossaire devait permettre «de lire notre ancienne littérature» pour ceux «qui sont désireux de bien comprendre les écrivains qui n’ont d’autre tort que d’appeler un chat un chat».
(P. 145 du Glossaire)
Le résultat donne presque envie «d’aller à la charge» tant
on découvre de verbes et d’expressions dont on ne soupçonnait pas le
double-sens. Evidemment, au final, cela revient le plus souvent à «être employé dans un sens obscène pour désigner un homme porté vers l’acte vénérien» ou «l'acte vénérien» lui-même. Que sont jolis ainsi ces «abatteur de bois», «s’aboucher», «accorder sa flûte», «mettre à la jûchée», «trafarcier», ou «trébillons».
Auguste Scheller tire ses exemples de la littérature francophone et on y
reconnaît le pouvoir d’imagination des écrivains, connus ou inconnus,
dans ce domaine.
La liste de tous les mots utilisés un jour ou l’autre pour qualifier le membre viril ressemble à un inventaire à la Prévert un peu délirant. On en a compté deux-cents douze. On ne va pas tous les recopier, mais «andonille, ardillon, boudin blanc, branche de corail, callibistri, crête de coq d’Inde, degré de longitude, exécuteur de la basse justice, fruit de cas pendu, mentule, pastenade, rossignol, tirliberly, touche d’allemand ou verge de Saint-Benoît» méritent d’être connus. Et on imagine qu’un siècle et demi plus tard la liste est encore bien plus longue.
Cette variété des expressions et de mots est due aux années qui passent et aux mélanges culturels, mais aussi à la religion et à la censure. «Pendant des siècles, on n’attacha aucune idée malhonnête à une multitude de mots et d’expressions qui sont actuellement bannis de la bonne société, et les hommes les plus graves les employaient sans que personne n’y trouve à redire», explique l’auteur. Mais, «peu à peu on a trouvé que certains mots devaient être bannis de la langue, et on les a remplacés par d’autres, ou bien par des périphrases qui expriment, il est vrai, la même idée, mais en bannissant le scandale», continue-t-il dans cet ouvrage «condamné à la destruction par jugement du tribunal correctionnel de la Seine en mai 1865».
(Page 277 du Glossaire.)
De nombreux mots ont traversé les époques et sont encore utilisés aujourd’hui, ou tout du moins très compréhensibles, comme «mignonne», «maquereau» ou «pucelle». D’autres expressions ont légèrement évolué comme «putain», qui signifiait «seulement autrefois une femme débauchée, actuellement ce n’est qu’un mot grossier servant à désigner une fille publique».
«Putasser» à l’époque est encore employé pour «désigner l’acte vénérien» alors qu’aujourd’hui on l’utilise plutôt pour médire sur quelqu'un. A l'époque de la rédaction de ce glossaire, «pute» est considéré comme un «vieux mot hors d’usage». Aujourd’hui, il se porte plutôt bien alors que «putier»,
désignant un coureur de mauvais lieux, n’a malheureusement pas connu
de seconde jeunesse. Les deux viennent de l’ancien français «put», sale, du verbe latin «putere»,
sentir mauvais. Car derrière la censure et la religion, ces mots
reflètent surtout notre manière, parfois péjorative ou un peu honteuse,
de voir le sexe.
Le «Glossaire érotique de la
langue française» de Louis de Landes est disponible sur Google books et a
été réédité en 2004 par Les Éditions de Paris (Max Chaleil).
Libération, 10 mai 2012.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire